« Prendre soin des donneurs de soins : effets d’un programme visant les comportements problématiques sur les éducateurs spécialisés travaillant auprès d’enfants ayant un trouble du spectre de l’autisme »
Résumé de l’article : Mestari, Z, Rivard, M., Mello, C., Morin, D., Forget, J. (2023). Educators’ Response to Facilitating a Parent-Mediated Intervention for Challenging Behaviour With Autism. Journal on Developmental Disabilities. https://oadd.org/wp-content/uploads/2023/11/V28-N3-JoDD-22-377R-Mestari-et-al-v3.pdf
Rédaction de la capsule de transfert des connaissances : Zakaria Mestari, étudiant au doctorat en psychologie à l’UQAM et membre du laboratoire ÉPAULARD
Résumé :
Les problématiques comportementales et socioémotionnelles (PCS) sont fréquentes chez les enfants ayant un trouble du spectre de l’autisme (TSA). Ces comportements ont des effets négatifs sur ces enfants, mais aussi sur le bien-être des professionnels travaillant auprès d’eux. Plusieurs études ont d’ailleurs montré que les attitudes de ces professionnels face aux PCS influencent la manière dont ils réagissent et interviennent, ce qui souligne l’importance de leur fournir la formation, la supervision et les outils appropriés pour la gestion de ces comportements. Cette étude évalue les effets de la formation et de l’implantation d’un programme découlant du Positive Behavior Support (en français, soutien au comportement positif) sur les éducateurs spécialisés l’ayant implanté auprès d’enfants ayant un TSA et des PCS. Sur une période de 12 semaines, 35 éducateurs spécialisés ont implanté le programme Prévenir-enseigner-renforcer– Petite enfance (traduit et adapté du Prevent-Teach-Reinforce for Young Children; PTR-YC) à même les services publics spécialisés en petite enfance. Les résultats montrent une réduction des attitudes négatives face aux PCS, comme la peur et l’anxiété, ainsi qu’une hausse des attitudes positives, comme le sentiment de contrôle et de confiance. Finalement, les participants rapportent une excellente validité sociale du programme.
Introduction
Le trouble du spectre de l’autisme (TSA), ayant connu une forte hausse de prévalence au Canada, représente un enjeu de santé publique majeur. Les problématiques comportementales et socioémotionnelles (PCS), présentes chez 60 à 95% des enfants ayant un TSA, entraînent des complications dans l’intégration sociale des enfants, de la détresse parentale et une hausse des risques d’accident et de dépression chez les éducateurs. Il est donc nécessaire de prioriser l’évaluation et l’intervention sur de tels comportements dès la petite enfance afin de limiter leurs multiples effets négatifs.
Même si l’intervention comportementale intensive (ICI) présente de multiples effets bénéfiques potentiels chez les enfants ayant un TSA, la présence de PCS représente un des freins principaux à sa mise en place et à son efficacité. En effet, 96% des professionnels en petite enfance mentionnent avoir travaillé avec au moins un enfant présentant de tels comportements et les perçoivent comme un obstacle majeur à l’efficacité de l’ICI. Ces professionnels soulignent avoir besoin de formation, de soutien, et d’une intervention adaptée aux besoins de leur clientèle.
Le programme Prévenir-enseigner-renforcer-Petite enfance est un programme de gestion des PCS fondé sur les meilleures pratiques et les données probantes issues de la recherche. Il est standardisé, convivial, accessible à tous et ne demande aucune accréditation officielle. En plus d’avoir le potentiel de maximiser les gains en ICI, le programme a également le potentiel d’améliorer le bien-être des éducateurs spécialisés et celui des parents, en plus de promouvoir une meilleure collaboration entre eux.
Mon projet de thèse vise à évaluer l’implantation du PTR-YC, en évaluant les barrières et les facilitateurs, ainsi que ses effets sur les éducateurs spécialisés l’ayant implanté. Plus spécifiquement, cet article vise à mieux comprendre les effets de la formation, de la supervision et de l’implantation du PTR-YC sur les éducateurs spécialisés.
Objectifs
- Décrire les relations pouvant exister entre le stress lié au travail et les attitudes face aux PCS chez les éducateurs spécialisés.
- Évaluer les effets de la participation au PTR-YC sur ces mêmes variables.
- Évaluer la validité sociale du PTR-YC telle que rapportée par les participants.
Participants
Le recrutement de 40 éducateurs a eu lieu au Centre intégré de santé et de services sociaux de la Montérégie-Ouest (CISSSMO). Parmi ceux-ci, 35 ont réellement commencé le programme et 30 l’ont complété. Les critères d’inclusion étaient les suivants : 1) travailler en tant qu’intervenant spécialisé au CISSSMO; 2) travailler à raison d’au moins cinq heures par semaine auprès d’un enfant ayant un diagnostic de TSA et présentant des PCS ; 3) être l’intervenant principal de l’enfant ; 4) ne pas avoir reçu de formation spécifique sur le programme PTR, sur l’analyse fonctionnelle ou sur le modèle de soutien au comportement positif avant la participation au projet. Les intervenants étaient principalement des femmes (96%), âgées de 38 ans en moyenne et ayant en moyenne 8.5 années d’expérience en ICI.
Outils de mesures
Le Maslach Burnout Inventory (MBI) permet d’évaluer le niveau d’épuisement professionnel. Les 22 items qui composent cet outil se divisent en trois catégories : 1) l’accomplissement personnel, 2) la fatigue émotive et 3) la dépersonnalisation.
Le Emotional Reactions to Challenging Behaviours scale (ERCB) permet de mesurer la dimension émotionnelle des attitudes vis-à-vis les PCS. Cet outil comporte quatre dimensions : 1) dépression/colère, 2) peur/anxiété, 3) confiance/décontracté, 4) joyeux/excité. Au total, 23 items permettent de mesurer ces dimensions émotionnelles (15 pour les émotions négatives et 8 pour les émotions positives).
Le Treatment Acceptability Rating Form Revised (TARF-R) mesure l’acceptabilité d’un traitement clinique. Il est composé de 20 questions dont 17 mesurent directement l’acceptabilité du traitement, deux touchent à la gravité du problème en lien avec le traitement et une concerne la compréhension de l’intervention mise en place.
Procédure
L’implantation du PTR-YC s’est déroulée entre le mois de septembre 2017 et le mois de juillet 2018. En tout, trois cohortes se sont succédé. La première incluait 10 familles, alors que la seconde cohorte et la troisième cohorte incluaient respectivement 13 et 12 familles. Des 35 familles ayant débuté le programme, 30 (75%) l’ont complété.
Quatre membres de l’équipe de recherche étaient responsables de la formation et de la supervision des intervenants spécialisés. Cette formation s’est tenue en groupe de 10 à 15 personnes et s’étendait sur deux jours (12 heures). En plus de fournir les bases théoriques et des activités pratiques, cette formation présentait les grandes étapes du programme PTR-YC. Tout au long de cette implantation, l’équipe de recherche a offert de la supervision hebdomadaire afin de soutenir et d’encadrer les éducateurs participants.
Les données liées à la recherche ont été collectées en deux temps. Avant le début de la formation, les éducateurs étaient invités à remplir le MBI (épuisement professionnel) et le ERCB (attitudes émotionnelles face aux PCS). À la fin de l’implantation du PTR-YC, les éducateurs étaient invités à remplir de nouveau les deux mêmes questionnaires, en plus du TARF-R (acceptabilité et validité sociales).
Résultats (par objectif)
Objectif 1 (décrire les relations entre le stress lié au travail et les attitudes face aux PCS)
Avant le début de la formation, les éducateurs participants présentent très peu d’épuisement professionnel et un haut niveau d’accomplissement personnel dans leur travail. Toutefois, les résultats montrent qu’un fort détachement par rapport au travail (sous-échelle de dépersonnalisation) est associé avec des attitudes plus négatives face aux PCS (dépression et colère).
Objectif 2 (évaluer les effets du PTR-YC sur ces variables)
À la suite du programme, des changements significatifs sont observés au niveau des attitudes face aux PCS. En effet, les éducateurs rapportent une forte réduction des comportements négatifs à la sous-échelle « peur et anxiété », en plus d’une hausse marquée à la sous-échelle « confiance et décontracté ». Autrement dit, les participants montrent une réduction des attitudes négatives face aux PCS, ainsi qu’une hausse des attitudes positives.
Objectif 3 (évaluer la validité sociale du PTR-YC)
Les résultats au TARF-R suggèrent une bonne validité sociale du programme. En effet, 10 des 18 items (56%) obtiennent un excellent score de validité sociale, alors que 7 des 18 items (39%) obtiennent un bon score de validité sociale. Le seul item ayant obtenu un score négatif est « Combien de temps sera nécessaire chaque jour pour que vous puissiez mettre en place ce traitement? ». Ces résultats suggèrent donc une excellente validité sociale, mais rappellent l’importance de prendre en considération le temps et l’énergie nécessaires à une bonne implantation.