LA MÉTHODE GÉNÉRALE

APPROCHE PARTICIPATIVE/COLLABORATIVE

La recherche que nous présentons ici est la suite logique d’une démarche collaborative entamée il y a plus d’une quinzaine d’années. Cette démarche a débuté par une demande des centres de réadaptation (qui font maintenant partie des CISSS et CIUSSS) d’évaluer l’offre de services spécialisés offerts aux enfants ayant un trouble du spectre de l’autisme ou une déficience intellectuelle, notamment l’intervention comportementale intensive (ICI). En tant que chercheuse en établissement, Mélina Rivard (avec Dre Céline Mercier) a saisi l’opportunité offerte par sa proximité avec les intervenants, les cliniciens et les gestionnaires pour les intégrer au processus de recherche. Ainsi, une collaboration est née dans la coconstruction du projet d’évaluation de l’ICI. Cette collaboration a permis aux chercheurs, puis à l’équipe plus large (incluant les partenaires du CISSS de la Montérégie-Ouest ; CISSSMO), de rester près des besoins de ceux à qui doivent profiter ces travaux, et ainsi de s’assurer que les résultats répondent à leurs attentes. Les problématiques comportementales et socioémotionnelles (PCS) ont été identifiées comme un obstacle à la réussite de l’ICI, et un enjeu qu’il était prioritaire d’aborder. C’est ainsi que, de fil en aiguille, la collaboration avec le CISSSMO a mené au développement du présent projet de recherche.

En parallèle, un autre projet de recherche de l’équipe, qui portait sur l’évaluation d’une ressource spécialisée en troubles graves du comportement, a mis en évidence le besoin de développer et d’évaluer des mesures d’intervention adaptées aux PCS chez les tout-petits. En effet, la ressource résidentielle évaluée dans ce projet recevait de plus en plus de références pour de jeunes enfants, et ce, même si elle était prévue pour des personnes adultes et des adolescents (voir les travaux réalisés sur la maison Lily Butters)1-2.

Ces deux projets, le partenariat avec le CISSSMO, ainsi que d’autres projets sur les PCS en petite enfance (voir Rivard et al., 2015)3 réalisés en collaboration avec les CISSS et CIUSSS ont confirmé l’importance de mettre en place un nouveau projet de recherche permettant de faire le pont entre les besoins de services spécialisés en petite enfance et ceux dans les services offerts en troubles du comportement/troubles graves du comportement.

La coconstruction du projet est primordiale pour assurer le succès de la mise en place de la recherche dans le milieu ; pour répondre aux réels besoins des enfants, des parents et des intervenants ; et pour assurer le changement des pratiques. Les démarches se font tant avec les gestionnaires qu’avec les intervenants et les professionnels, ce qui assure la faisabilité de la mise en place du protocole de recherche et, par la suite, l’utilisation des savoirs découlant de la recherche. Il faut ajouter que le programme évalué dans le cadre de ce projet implique aussi le partenariat direct des familles dans l’intervention.

D’autre part, l’implication continue du personnel clinique favorise la mobilisation des connaissances ; la formation ; l’adoption et l’intégration des pratiques associées au modèle d’intervention mis en place ainsi que son amélioration continue. Aussi, l’équipe a mis en place des comités de suivi et de travail avec des gestionnaires du CISSMO, de la Fondation Butters et du ministère de la Santé et des Services sociaux afin de coconstruire les objectifs de la recherche et d’informer les partenaires des résultats.

MÉTHODE GÉNÉRALE DE LA RECHERCHE : 3 études

DEVIS

Ce projet de recherche comporte quatre objectifs qui ont pu être réalisés par l’intermédiaire de trois études distinctes.

Objectif 1 

Adaptation et validation de la version francophone du DBC-U4

Objectif 2

Suivi longitudinal des problématiques comportementales et socioémotionnelles

Objectif 3

Étude des facteurs associés à la présence de PCS

Objectif 4

Implantation et évaluation d’un programme de gestion des PCS

ÉTUDE 1

La première étude a d’abord permis de réaliser la traduction, l’adaptation et la validation psychométrique d’un outil d’évaluation des problématiques comportementales et socioémotionnelles (le Developmental Behavior Checklist-Under-4 ; DBC-U4)4 (objectif 1). Elle a aussi permis de décrire ces problématiques et d’en faire le suivi longitudinal chez un grand groupe d’enfants. Ces prises de mesure ont été effectuées annuellement (pour un maximum de quatre temps de mesure) (objectif 2).

ÉTUDE 2

Un groupe d’enfants et leur famille ont participé à la deuxième étude, qui visait à documenter de façon plus approfondie les associations entre certains facteurs et la présence de PCS chez l’enfant ayant un TSA avant l’obtention de services d’intervention précoce. Les facteurs étudiés comprenaient des facteurs contextuels (par exemple les services), des facteurs associés au profil clinique de l’enfant (par exemple les comportements adaptatifs, le fonctionnement intellectuel, la sévérité des symptômes autistiques) ou encore des facteurs en lien avec les caractéristiques de la famille (par exemple des caractéristiques sociodémographiques, la qualité de vie de la famille, le stress parental) (objectif 3).

ÉTUDE 3

Finalement, une troisième étude a permis :

  • de sélectionner et d’adapter une intervention ciblant les PCS (Prevent-Teach-Reinforce for Young Children; en français : Prévenir-enseigner-renforcer–Petite enfance)5, et de l’implanter à même les services d’intervention précoce du CISSSMO;
  • d’évaluer l’implantation, la validité sociale et les effets de cette intervention chez les enfants ayant un TSA, leurs parents et leurs intervenants.

Le devis d’évaluation proposé est multidimensionnel et mixte, c’est-à-dire qu’il intègre des données quantitatives et qualitatives ainsi que le point de vue de multiples répondants. Ce devis permet une analyse complémentaire et plus approfondie des cibles d’évaluation, des cibles d’intervention et du suivi longitudinal (prépost-maintien intervention) (objectif 4).

PARTICIPANTS

Les participants étaient :

  • 850 familles recevant des services d’un des 13 CISSS ou CIUSSS participants, ce qui représente 13 des 17 régions administratives du Québec (étude 1);
  • 136 enfants et familles en instance de recevoir des services d’intervention précoce au CISSS de la Montérégie-Ouest (étude 2);
  • 35 enfants en instance de recevoir des services d’intervention précoce au CISSS de la Montérégie-Ouest ainsi que leurs parents (étude 3);
  • 35 intervenants travaillant au CISSS de la Montérégie-Ouest ayant agi à titre de facilitateurs dans le cadre de l’implantation et de l’évaluation du programme Prévenir-enseigner-renforcer–Petite enfance (étude 3).

PROCÉDURE

Pour la première étude, l’équipe a tout d’abord procédé à la traduction et à l’adaptation culturelle francophone du Developmental Behavior Checklist – Under 4 (DBC-U4) pour les enfants de 2 à 7 ans, en collaboration avec les auteurs du test. Pour ce faire, l’équipe a suivi le processus en sept étapes de Tassé et Craig (1999)6, qui comprend la formation de comités d’experts responsables de la traduction, de la consolidation, de la révision et de l’ajustement de la nouvelle version, ainsi que de l’essai pilote. L’essai pilote a été fait auprès de 10 familles afin d’évaluer la clarté des consignes, des items et de la présentation générale du test (pour de plus amples informations sur la procédure de traduction du DBC-U4 en français, voir l’article de Rivard et al., 2021)7.

Par la suite, plus de 3 300 envois postaux ont été acheminés à des familles provenant de 13 régions du Québec. Ces envois comprenaient un formulaire d’information et de consentement à participer au projet, un questionnaire sociodémographique ainsi que la version francophone du DBC-U4. L’équipe a réussi à recruter 850 participants, soit 370 participants de plus que les 480 initialement prévus, ce qui correspond à un taux de participation de 26 %. Douze mois plus tard, des envois postaux ont de nouveau été acheminés aux familles participantes afin de suivre l’évolution des PCS (maximum quatre temps de mesure).

COHORTES ET TEMPS DE MESURES

Les cohortes correspondent à l’année du projet de recherche où les familles ont participé. Par exemple, la cohorte 1 a participé lors de la première année (2014-2015) du projet de recherche.

Les temps de mesure ont été utilisés dans ce projet afin d’évaluer les familles et les enfants à plusieurs reprises et de suivre leur évolution. Environ un an s’est écoulé entre chaque temps de mesure. Par exemple, une famille qui a été vue aux temps 1, 2, 3 et 4 a rempli les questionnaires quatre fois, à une année d’intervalle.

Nombre de participants pour l’étude 1 (traduction et validation du DBC-U4 et suivi longitudinal des PCS)

Cohortes Temps 1 Temps 2 Temps 3 Temps 4
1 (2014) 378 164 84 50
2 (2015) 472 107 85 115
Total 850 271 169 166

Pour la deuxième étude, les participants ont été recrutés parmi les familles débutant les services d’intervention précoce au CISSS de la Montérégie-Ouest. Chacune des familles a été rencontrée par un membre de l’équipe de recherche en début d’intervention. Les familles ont rempli différents instruments d’évaluation en lien avec les PCS et les caractéristiques de l’enfant (comportements adaptatifs, fonctions exécutives et sévérité des symptômes autistiques) et de la famille (stress parental, qualité de vie et fonctionnement de la famille) susceptibles d’être associées à la présence de PCS. Une évaluation du fonctionnement intellectuel de chacun des enfants a également été réalisée par un membre de l’équipe de recherche.

Enfin, la troisième étude était divisée en trois phases. La première phase, qui a débuté au printemps 2016, consistait à implanter le programme Prévenir-enseigner-renforcer–Petite enfance auprès de deux familles. Cette phase pilote a permis à l’équipe de recherche non seulement de se familiariser avec le modèle, mais aussi d’expérimenter et d’ajuster la formation, la supervision et les outils utilisés. La deuxième phase a débuté à la fin du mois d’août 2017 avec la formation d’une cohorte d’intervenants qui travaillaient auprès de 10 familles, et s’est terminée en décembre 2018. La troisième phase consistait à faire un essai randomisé (c.-à-d. qu’il y avait un groupe contrôle en attente de recevoir la formation et un groupe expérimental qui recevait la formation). Elle a débuté en janvier 2018 avec la formation d’une seconde cohorte d’intervenants travaillant auprès de 15 familles et s’est terminée en avril 2018. Elle s’est poursuivie, en mai 2018, avec la formation d’une troisième et dernière cohorte d’intervenants travaillant auprès de 10 familles, et s’est terminé fin juillet 2018.

Il convient de mentionner que des modifications ont été apportées au projet en raison de la réorganisation majeure du système québécois de santé et de services sociaux qui a eu lieu au moment de l’étude (par exemple passage des CRDITED aux CISSS et CIUSSS) et qui a entrainé le transfert de nombreux éducateurs, professionnels et gestionnaires à d’autres postes, voire à d’autres établissements. Alors que le projet initial prévoyait un essai contrôlé randomisé auprès de 40 enfants et leurs familles (4 groupes de 10 familles), la décision a été prise par l’équipe de recherche et les membres du CISSSMO de former 3 groupes et de les évaluer selon un devis prépost, c’est-à-dire, avant le début de l’intervention et après les 8 à 12 semaines d’implantation du programme. Puisqu’aucune intervention visant la gestion et la réduction des problématiques comportementales et socioémotionnelles n’existait au sein de l’organisation à ce moment, l’équipe a choisi de maintenir le projet en tentant de répondre aux besoins du milieu tout en atteignant les standards de recherche d’une étude de faisabilité. Les groupes ont été intégrés afin d’analyser les données de tous les participants.

INSTRUMENTS DE MESURE

Six sources de données ont été utilisées pour le projet :

  • des questionnaires standardisés remplis par les parents à chaque temps de mesure du suivi longitudinal (mesures parents/familles : stress parental, qualité de vie familiale, fonctionnement de la famille; mesures enfants : problématiques comportementales et socioémotionnelles, sévérité des symptômes autistiques, comportements adaptatifs, fonctions exécutives);
  • des évaluations du fonctionnement intellectuel auprès des enfants;
  • des entrevues semi-structurées auprès des intervenants et des parents;
  • des questionnaires de fiabilité de l’implantation remplis par les intervenants;
  • des questionnaires standardisés remplis par les intervenants (dimensions cognitives et émotionnelles des attitudes face aux PCS et épuisement professionnel);
  • des questionnaires de validité sociale remplis par les parents et les intervenants.

Vous trouverez plus de détails sur les instruments de mesure dans les sections consacrées à chacun des objectifs.

Consultez le tableau qui montre les instruments utilisés à chaque temps de mesure.

Références

1. Morin, D., Bardon, C., Rivard, M., Robitaille, C., & Mercier, C. (2019). Évaluation de l’efficacité de la Maison Lily-Butters. Rapport de recherche. Chaire de déficience intellectuelle et troubles du comportement, Département de psychologie, Université du Québec à Montréal.

2. Morin, D., Rivard, M., Mercier, C., & Robitaille, C. (2015). L’évaluation de l’implantation d’une ressource spécialisée pour personnes avec une déficience intellectuelle ou un trouble du spectre de l’autisme et un trouble grave du comportement. Revue Francophone de Clinique Comportementale et Cognitive, 20(2), 38-53.

3. Rivard, M., Morin, D., Dionne, C., Mello, C., & Gagnon, M.-A. (2015). Assessment and intervention needs of service providers for children with intellectual disabilities or autism spectrum disorders and concurrent problem behaviors. Exceptionality Education International, 25(2), 65-83. https://ir.lib.uwo.ca/eei/vol25/iss2/4

4. Gray et al., 2021 (article en préparation)

5. Dunlap, G., Wilson, K., Strain, P.S., & Lee, J. (2019). Prévenir-enseigner-Renforcer Modèle de soutien comportemental positif. Programme PTR-YC pour jeunes enfants. Prevent-Teach Reinforce for Young Children. The Early Childhood Model of Individualized Positive Behavior Support. [trad. dir : D. Morin, J. Forget, M. Argumedes et M. Rivard] (Original work published in 2016). De Boeck Superieur.

6. Tassé, M. J., & Craig, E. M. (1999). Critical issues in the cross-cultural assessment of adaptive behaviour. In. R. L. Schalock (Ed.), Adaptive behavior and its measurement : Implications for the fiels of mental retardation. American Association on Mental Retardation.

7. Rivard, M., Morin, D., Forget, J., Terroux, A., Mestari, Z., & Mello, C. (en préparation). Development and validation of the French version of the Developmental Behavior Checklist-Under 4 to assess behavior and emotional problems in young children with autism spectrum disorder or intellectual and developmental disabilities. Journal of Intellectual Disability Research.