ANALYSE DE GROUPEMENT DES CARACTÉRISTIQUES CLINIQUES D’ENFANTS CHEZ QUI ON SOUPÇONNE LA PRÉSENCE D’UN TROUBLE NEURODÉVELOPPEMENTAL
Abrégé de :
Rivard, M., Mestari, Z., Morin, D., Coulombe, P., Mello, C., & Morin, M. (2023). Cluster Analysis of Clinical Features of Children Suspected to Have Neurodevelopmental Disorders. Journal of Autism and Developmental Disorders, 53(6), 2409‑2420. https://doi.org/10.1007/s10803-022-05533-y
L’identification précoce des troubles neurodéveloppementaux (TND) tels que le trouble du spectre de l’autisme (TSA), la déficience intellectuelle (DI), le retard global de développement (RGD) et les troubles d’apprentissage et de communisation est critique pour un bon pronostic puisque le diagnostic est nécessaire pour accéder aux services d’intervention. Par contre, de plus en plus de voix s’élèvent pour questionner le modèle traditionnel d’évaluation de ces troubles et l’offre de services associée. Actuellement, le diagnostic est basé sur la catégorisation des symptômes de l’enfant selon la classification du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux et des troubles psychiatriques (DSM-5) et les services offerts sont spécifiquement en lien avec le diagnostic. L’une des critiques majeures de cette approche est que le diagnostic ne permet pas de comprendre le fonctionnement et les besoins exacts de l’enfant et de sa famille. Plusieurs problèmes sont identifiés en lien avec cette approche :
- certains enfants ne reçoivent pas de diagnostic parce qu’ils n’ont pas suffisamment de symptômes, mais ont tout de même besoin d’intervention pour leurs difficultés;
- les besoins des enfants ayant le même diagnostic peuvent être très variés, même plus que ceux qui ont des diagnostics différents;
- il y a beaucoup de chevauchements entre les symptômes des différents diagnostics de TND, ce qui complexifie le diagnostic différentiel et allonge le temps d’attente pour accéder au diagnostic;
- lorsque les enfants ont plusieurs diagnostics, ce qui est fréquent étant donné le chevauchement des symptômes, les familles doivent suivre plusieurs trajectoires de services distinctes plutôt que de recevoir des services unifiés;
- la littérature montre des inégalités culturelles et sociodémographiques dans la réception de services diagnostiques et d’intervention.
Ces problèmes amènent à se questionner sur la pertinence d’offrir des services uniquement après l’obtention d’un diagnostic, alors que l’attente peut être de plus de deux ans et que les besoins des enfants et de leur famille sont présents dès les premiers soupçons de TND. Étant donné ces difficultés, il est suggéré que les caractéristiques fonctionnelles des enfants (p. ex. comportements sociaux et adaptatifs, fonctionnement cognitif, apprentissage et fonctionnement académique) expliqueraient mieux le pronostic que le diagnostic. Cet article propose une approche transdiagnostique permettant de catégoriser les enfants selon ces caractéristiques pour mieux identifier leurs besoins et soutenir une meilleure offre de services. L’étude visait à répondre à trois questions :
- Est-ce que des sous-groupes cliniques d’enfants peuvent être identifiés sur la base de caractéristiques cliniques (sévérité des symptômes d’autisme, fonctionnement intellectuel, comportements adaptatifs, comorbidités et comportements problématiques internalisés et externalisés)?
- Est-ce que des caractéristiques contextuelles ou familiales (revenu, fratrie) sont associées à ces sous-groupes?
- Quel est le lien entre les sous-groupes cliniques et les diagnostics reçus à la clinique d’évaluation?
Survol de la méthode
Participants : 194 enfants âgés entre 2 ans et 7 ans qui avaient été évalués dans une clinique d’évaluation spécialisée pour une suspicion de TSA, de RGD ou de DI.
Instruments de mesure : échelle de fonctionnement intellectuel, comportements adaptatifs, comportements internalisés et externalisés, sévérité des symptômes de TSA.
Procédure : à la fin du processus d’évaluation et à la suite de l’annonce du diagnostic au centre d’évaluation Voyez les choses à ma façon, les familles étaient invitées à participer au projet de recherche. Les familles ont donné leur consentement pour que l’équipe de recherche ait accès au dossier clinique de l’enfant (motifs de référence de l’enfant, évaluations diagnostiques remplies lors de l’évaluation).
Analyses : des analyses par groupement (cluster analysis) ont été réalisées afin de créer des groupes d’enfants selon les caractéristiques choisies. Ensuite, des analyses ANOVA et des tests de khi carré ont été effectués afin de comparer les groupes d’enfants sur des variables cliniques et sociodémographiques.
Résultats
Trois groupes homogènes d’enfants ont été identifiés et ils différaient significativement entre eux. Le groupe 1 incluait des diagnostics plus hétérogènes et un profil plus ambigu. Le groupe 2 se rapprochait de la définition classique du TSA. Le groupe 3 représentait des enfants ayant des difficultés comportementales et émotionnelles. Le tableau ci-après décrit les caractéristiques de chacun des groupes et inclut les liens avec le diagnostic de l’enfant et les facteurs contextuels et sociodémographiques.
Groupe 1 | Groupe 2 | Groupe 3 | |
Démographie et histoire familiale | Enfants plus jeunes | Diagnostic de TND chez le père | |
Diagnostic | Autres TND | TSA et DI/RGD | |
Fonctionnement intellectuel | Plus bas | ||
Comportements adaptatifs | Plus haut fonctionnement | Plus faible fonctionnement | Intermédiaires |
Comportements problématiques | Moins fréquents | Intermédiaires | Plus fréquents |
Sévérité des symptômes de TSA | Plus sévère |
Discussion
Ces résultats montrent qu’une approche transdiagnostique basée sur des caractéristiques cliniquement significatives pourrait être une façon de répondre aux défis de l’approche diagnostique catégorielle traditionnelle et des services d’intervention basés sur ces diagnostics.
Cette approche a plusieurs implications cliniques:
- Identifier et répondre aux besoins des enfants et de leur famille (évaluation, intervention, soutien) dès le dépistage des TND et non uniquement lors de la réception du diagnostic officiel, pour lequel les délais d’attente peuvent aller jusqu’à 2 ans.
- Diminuer les inégalités culturelles et sociodémographiques dans la réception de services diagnostics et d’intervention.